Camille, Camille, Camille
théâtre 95 (Cergy) octobre 2014
Texte de Sophie Jabès
Mise en scène de Marie Montegani

Dans
Camille, Camille, Camille, on plonge
au cœur même de ce mythe : trois Camille, trois événements importants de
la vie de Camille Claudel, trois voix aussi, qui nous racontent, tour à tour,
quelles ont pu être les décisions, les hésitations, et les blessures de Camille
Claudel. Le texte de Sophie Jabès a voulu se concentrer sur un élément en
particulier qui aurait bouleversé le destin de Camille Claudel, et à plusieurs
échelles : le rôle de Rodin. Si les trois âges représentés sur scène (la
jeunesse, la maturité, et la vieillesse) nous sont tout de suite évidents, le
rôle que Rodin y joue l’est également. La première Camille, jeune et
naïve, sûre d’elle et impudente, est face à un choix qui semble décider du
reste de sa vie. A l’époque où elle est l’élève de Rodin, elle en est
aussi terriblement amoureuse, mais elle hésite : faut-il se donner à
Rodin, toute entière, ou concentrer chacune de ses pensées dans son
talent ? La deuxième Camille, plus tiraillée encore, est emplie d’une
haine sans nom pour ce Rodin, qui l’a trahie, s’est servi d’elle, l’a abandonnée.
Enfin, la troisième Camille a définitivement renoncé : enfermée et seule,
le spectateur décèle en elle une forme de folie, ou d’irréalité. Ni ici, ni ailleurs,
la Camille au seuil de sa mort pense à Rodin, le maudit. Elle attend Paul, le frère
aimé : « Paul a dit qu’il viendrait », ne cesse-t-elle de
répéter.
Et
puis vient le moment dans la pièce, où ses trois femmes se rencontrent. La plus
vieille devient alors « celle qui sait », tandis que les deux autres
sont là pour lui demander conseil sur la décision à prendre : elles
s’entendent dire toutes les deux que la solution la plus sûre, pour une Camille
exténuée de vivre et d’attendre peut-être, est de partir, de quitter Rodin.
Mais le passé restant le passé, ou le destin étant inévitable, aucune
n’écoutera, et le mythe de Camille reprend sa forme réelle.
Dans
cette pièce, beaucoup de poésie dans le texte, beaucoup de symboles également.
La mise en scène de Marie Montegani
est sobre, sans artifice. L’ambiance théâtrale a su plaire aux amateurs de théâtre
traditionnel, sans micro : juste une scène, quelques éléments de décors,
et trois comédiennes assez convaincantes dans leur facette respective du
personnage de Camille Claudel. Pourtant, la
modernité, sans envahir tout l’espace, est présente : un écran,
dans le fond de la scène, fait apparaître à deux ou trois reprises l’image en
noir et blanc d’une petite fille. Complètement en dehors de l’histoire réelle
de la pièce, cette petite fille assez dérangeante joue le rôle du messager,
annonceur de la mort du père de Camille, ainsi que de la propre mort de Camille
Claudel, à la fin de la pièce, à laquelle Camille répondra que c’est plutôt
« une très bonne nouvelle ».
L’artiste Camille Claudel, sculptrice, est un peu effacée, dans
Camille, Camille, Camille, au profit
de la femme, et son histoire avec Rodin. Mais son art est tout de même
évoqué, comme quelque chose de brûlant, de vivant même. Si nous savons que
Camille Claudel aurait voulu être un homme, elle n’en est pas moins une femme
entière, orgueilleuse et ambitieuse, et c’est cette image là que l’on préfère
garder d’elle, dédramatisant ce tragique enfermement qui a
interrompu sa vie, interrompu son art. La pièce se termine par
l’énumération de ses œuvres : La
Valse, Sakuntala, L’âge mûr…
autant d’œuvres qui font le génie et la puissance de Camille Claudel. Heureuse
de bientôt retrouver son frère Paul, Camille Claudel semble libre, lorsqu’à
l’heure de sa mort, pensant à son art sans doute, elle dit : « Et
dire que c’est moi qui ai fait tout ça ».
(Emilie Ch.)