Nous avons eu l’honneur de recevoir aux ActuaLiseurs, mercredi 4 mars, Alain Blottière, écrivain du fameux Tombeau de Tommy et, plus récemment, de Rêveurs, roman pour lequel nous lui avions demandé de venir. Voici l'article commun que nous avons écrit, pour garder mémoire de ce très beau moment...
Après avoir échangé quelques
regards autour d’une table garnie de boissons chaudes et petits gâteaux,
l’écrivain a répondu à nos questions, expliqué sa méthode de travail.
Il voyage souvent et possède
désormais un pied à terre en Egypte, où il aime se rendre plusieurs fois dans
l’année. L’Egypte, comme une terre d’accueil à laquelle il revient souvent dans
ses livres. Rêveurs en témoigne, qui
croise les deux destins d’adolescents d’aujourd’hui que tout sépare, hormis
cette capacité de rêver à un autre monde que celui qui les entoure.
Un personnage venu du réel
Pour son personnage de Goma, il
s’est inspiré d’un véritable enfant qu’il a rencontré là-bas, il y a très
longtemps. « Goma existe, il a maintenant une trentaine d’années, des
enfants. Il vit toujours dans son quartier de Dar el-Salam ». Silence.
D’un coup, nous imaginons le personnage sorti du livre, grandissant dans la
réalité, vivant une vie d’homme en chair et os. C’est étrange, ce pouvoir de la
littérature : pour nous, Goma sera irrémédiablement d’abord un personnage de papier. Savoir qu’il est en fait un exilé
du monde réel auquel Blottière a façonné, dans son roman, une terre d’asile où
caler son enfance pétrie de rêves et de luttes, c’est un réveil soudain dans la
réalité concrète d’un écrivain. En phase avec ce qui l’entoure, Alain Blottière
colle au réel, le transforme comme une matière à écrire. On est surpris. Ravis,
comme d’avoir reçu une confidence,
un secret de fabrication qui nous rapproche encore plus de celui des personnages
qui nous a tous émus.
Certains auteurs sont inconnus du
grand public, pourtant un grand trésor se terre dans leurs œuvres. Une
histoire, quand elle vous entraine tout en vous faisant regarder autrement le
monde réel, ça n’a pas de prix. Alain Blottière est un écrivain lucide et
sensible. Le réel, comme point de départ, l’entraîne vers deux destinées a
priori antinomiques. Mais dans Rêveurs,
il ne tombe pas dans l’auto-flagellation à l’européenne, avec sa fascination
pour l’exotisme, son goût pour un Orient sacralisé, qui serait symbole d’une
« humanité vraie ». Non, pas de procès, juste des constats traduits
dans une prose accessible et pourtant très littéraire. Comme quoi.

Alain Blottière écrit avec son
cœur et son corps. Il accompagne ses personnages par l’intérieur, sans tomber
dans la psychologie asséchante. Il peut rester des mois, voire des années sans
écrire, et saisit le moment où l’impulsion revient. L’influence de la réalité,
le souvenir de petites scènes de vie, la trace de personnes vraies, le travail
d’enquête, l’écrivain mêle tout cela, c’est un être de patience et de minutie,
qui fait confiance aux signes qui, alors que la mécanique de création se met en branle, lui montrent qu’il est sur le chemin et qu’il ne
s’égare pas.
Il laisse sortir de sa mémoire
tous les livres qu’il fait sur commande, ceux qu’il fait pour vivre, puisqu’il
est entendu que peu d’écrivains peuvent se nourrir rien que par le produit de
leurs œuvres. Ceux-là, de livres, il les fait avec soin, mais les oublie très
vite. Mais les siens, ceux qu’il écrit parce qu’une impulsion l’a poussé à les
mener à bien, autour de personnages précis, il les garde en lui. Il reconnaît
que, quand du temps a passé comme c’est le cas pour Rêveurs qu’il a écrit il y a trois ans déjà, il lui faut un petit
effort pour pouvoir en parler, pour retrouver le cheminement du moment de son
écriture. « Je l’ai relu dans le train qui me menait à vous ». Et
l’on s’est étonné de ne voir dépasser aucun livre des poches de son grand
manteau noir. Un écrivain, c’est un peu magique.
Il ressemble à ces écrivains
silencieux, dont on s’accorde à dire que la simplicité est une grande part de
leur talent. Dans Rêveurs, l’écriture
se faufile d’un univers à un autre, aussi facilement qu’on tourne une page.
Sensible, évadé, sincère, Alain
Blottière ressemble à son livre. D’ailleurs il partage son temps entre Paris et
le Caire, comme dans Rêveurs. Il sait
déplier les contrastes entre ces deux mondes, montre du doigt le fossé qui les
sépare et plus encore, les fait se rencontrer. Goma est le double d’un enfant
des rues qui a réellement existé, qui est grand maintenant, tandis que Nathan
est un puzzle de plusieurs personnes. Leur rencontre, c’est l’imaginaire qui se
mêle au réel et forme un tableau bluffant, comme cette phrase qui n’en fait
qu’une et enjambe l’espace pour faire se rejoindre les deux univers :
commencé du point de vue de Goma, elle se poursuit avec naturel dans le monde
de Nathan et inversement. La première fois qu’on lit ces passages, on est
impressionné. Après, on saisit le rôle de miroir qu’elle incarne, et le thème
du double qu’elle renforce au sein du roman.

Alors pour le remercier, nous lui avons offert deux lectures de son roman : une à voix nue, menée par Emilie Ch., une autre par Elsa C., accompagnée par la musique de Louis.
Merci à eux, Merci à M. Blottière. Voici sa page Facebook, pour lire des avis de lecture, découvrir sa façon de nous faire voyager à travers des vidéos du monde et... écouter un aperçu de cette fin pleine de rêves, le 4 mars dernier : la page d'Alain Blottière