jeudi 5 juin 2014

La lecture, un palimpseste

Une journée en terre d'écriture (2)

Même si c'est un peu tard après l'aventure, je prends ta suite, Elsa, et je reviens sur ces séances de lecture qui ont ponctué l'atelier des ActuaLiseurs, début mai. Je reviens sur ces deux séances, à l'auditorium, parce qu'elles m'ont marquée. Elles m'ont plu. C'était une belle façon de finir l'année, vraiment.
Les ActuaLiseurs avaient un peu oublié les textes qu'ils avaient écrits en avril, sur les consignes étranges de Jonathan Wable, jeune écrivain qui nous avait fait la gentillesse de venir animer un atelier d'écriture. Il avait emporté chez lui leurs moissons de la journée, et avec un grand soin, avait tout tapé pendant les vacances,  sans changer un mot de ce qu'ils avaient proposé. Il avait été ému, m'avait-il confié en m'envoyant le dossier, de ce qu'il avait lu. La thématique de la mort, qui filait quasiment tous les textes, alors même qu'ils partaient d'une photo totalement différente, était saisissante. Il paraît qu'On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ansJe veux bien croire Rimbaud, il savait de quoi il parlait. Mais moi je sais ce que j'ai entendu. Alors non, pas sûr, au fond, que Le cœur fou robinsonne à travers les romans. Pas toujours, en tout cas.

En ce mois de mai, donc, au petit matin, la classe encore un peu endormie (il était vraiment tôt, pour proposer cette activité !), assise à même la scène, était prête à écouter. Le silence était douillet comme une couette encore chaude. 

Les lectures nous réveillèrent doucement, une à une, avec la justesse d'une musique claire et dense à la fois. Nous avions décidé, avec Sylvie, que chaque ActuaLiseur aurait en responsabilité un texte, et non pas son texte. Du coup : son auteur aussi, (re)découvrait. 
Car il arrive bien souvent que la lecture qu'on propose, quand elle est inspirée, se détache de celle, intérieure, de l'écrivain. De celle qu'il se murmure, en oreille interne, bien loin des yeux, de la mémoire, des souvenirs lus ou vécus par ces autres auxquels bientôt il offrira son texte, et qui se l'approprieront. 
Les mots étaient palpables, et au-delà des maladresses auxquelles on ne s'arrêtait pas  (cela fait partie du jeu, quand on s'expose sincèrement), les textes se faisaient vraiment entendre. Ils faisaient naître des mondes, dans nos têtes disponibles, ça nous embrassait de partout et nous portait un doux sourire aux lèvres. Certains se sont peut-être endormis, mais ils ne devaient pas être nombreux. Parce que les lectures étaient incarnées, colorées, et en même temps insaisissables. Elles étaient là.

Avec Sylvie, nous étions déçues, au départ, de la maigre qualité des photos qui avaient été prises, ce jour-là. Petit matin, petite lumière, tout était flou. Jusqu'au moment où on a compris que tout était juste, au contraire : ce mouvement des lecteurs, cette audace avec laquelle ils se sont déplacés parmi nous, ont joué de leur corps et de leur intonation, accompagnés ou non de musique, c'était cet insaisissable, ce flou, ce décalage multiple que chacun d'entre nous réverbérions de la lecture entendue. Dite à voix haute, la phrase est insaisissable, toujours en mouvement, elle vient résonner contre une paroi interne qu'on ne saurait exposer à personne et y trace des méandres qu'on ne peut fixer. Elle coagule, quand les mots sont forts, à de la matière intérieure qu'on ne saurait même nommer, et qui fait que chaque texte est unique, parce qu'il est absorbé, en couches successives, par un écran qui nous est personnel. Ce sont nos pages à nous, qui réfléchissent, recomposent, le souvenir qu'on a de la lecture. Comme un palimpseste sans cesse renouveler.

Bravo aux ActuaLiseurs : pour ce qu'ils ont écrit, pour leur façon de lire. 
Bravo aux élèves de la classe, qui ont accueilli ces textes avec une grande bienveillance et une écoute qui fut porteuse.
Bravo à Sylvie DS, pour ses photos si justes.

(Béatrice H.)





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire