dimanche 9 novembre 2014

ÉLÉPHANT, ou comme le nez au milieu de la figure

Un film étonnamment court, pour une claque magistrale.


Le temps s’arrête dans Elephant. Une heure environ dans un lycée, lors d’une journée ordinaire. Rien de bien exaltant. On suit le parcours de plusieurs élèves. Les chemins se croisent, se répètent, parfois s’affrontent, parfois s’esquivent. Et tous regardent le ciel. La tempête approche, elle est palpable, elle est prévisible. Mais ils font tous la sourde oreille, sur un fond de sonate beethovenienne. Puis deux élèves viennent et tuent, avec une précision glaciale. Columbine, on connait la chanson.

L’un des deux tueurs joue du piano. Du Beethoven. Un tueur peut-il jouer du piano ? Peut-on reconnaître un homosexuel ? Quelqu’un qui porte du rose ? Et qu’en est-il alors d’une personne qui porte un bracelet aux couleurs de l’arc-en-ciel ? Peut-on reconnaître un tueur ? Un tueur joue-t-il vraiment du piano ? Peut-on seulement reconnaître quelqu’un ? L’identité semble évidente. « Je sais que je suis, donc je sais qui je suis. » Et bien non.

Les élèves vagabondent, sans but précis, dans l’enceinte du lycée. Ils semblent se chercher eux-mêmes. Certains pensent affirmer leur être par l’apparence. J’ai un piercing pour montrer mon indépendance et mon anticonformisme. D’autres en humiliant les plus inoffensifs. Je suis au-dessus de lui parce que je lui jette des détritus. D’autres enfin décident de tuer et assurent leur identité à jamais. J’ai tué, on parle de moi 20 ans après... Telle s’exécute la tragédie contemporaine narrée dans Elephant.

 Mais où sont les adultes, dans Elephant ? A la périphérie du microcosme lycéen. Il y a les parents, trop ivres pour conduire une voiture, vus comme un poids, une responsabilité par leurs propres enfants. Il y a ceux qui travaillent au sein même de l’établissement, aussi apathiques que leurs mômes, qui se cachent même pour fumer. Il y a bien sûr les professeurs, qui répondent aux questions les plus abstraites sur des notions de physique... Les adultes sont donc les barrières du ring lycéen, et il s’y joue un massacre, en toute impunité. Spectateurs-piliers, ils sont responsables, par leur passivité, du spectacle auquel ils assistent.

Elephant est une œuvre profondément pessimiste. Mais surtout rationnelle. La violence de notre monde augmente au fur et à mesure qu’on l’accepte. Gus Van Sant nous jette cette évidence à la figure et on l’encaisse avec plus ou moins d’efforts. Le film n’accuse pas, il constate. Oui, les tueurs jouaient à des jeux-vidéos violents, oui ils étaient les souffre-douleurs de leurs « camarades », oui, oui, oui. Mais à quoi bon chercher un coupable en Amérique ? Le pays de la liberté ? Oui, ils ont acheté des armes sur internet sans aucun problème. C’était leur choix, c’était possible. Oui, Ils exécutent de sang-froid des personnes de leur lycée. S’ils n’en ont pas le droit, rien ne les empêchait de le faire. L’éléphant du film, c’est donc la société. Une société qui va monstrueusement mal et dont les maux ne font que s’accroître sans fin. Une décadence peut-être résumée dans la phrase d’Henri Lacordaire : « L’injustice appelle l’injustice ; la violence engendre la violence. »



Bref, Elephant est un film-pensée qui fait réfléchir tout autant qu’il horrifie. Non seulement le propos du film est dense et généreux (surtout pour une durée d’à peine 1 heure 20), mais les choix de réalisation, prodigieusement modernes, contribuent largement à les tendre sous nos yeux. La narration saccadée reste toujours très paisible, portée par de longs plan-séquences en travelling, un flou presque constant et un jeu d’acteur admirablement pudique et naturel. Gus Van Sant dirige ici une caméra-plume, c’est-à-dire une caméra aux accents littéraire, qui adopte un certain point de vue, se focalise sur telle ou telle chose (d’où ce flou, ces plans rapprochés...) et n’a en aucun cas l’ambition de faire du réel et de montrer tout le réel...Ici, le film se sait « objet » d’art.
Elephant est donc beaucoup plus qu’un chef-d’œuvre, c’est un film de cinéma.

Elephant est un film de Gus Van Sant sorti en 2003 avec, entre autres, Alex Frost, John Robinson et Ellias McConnel. Il est intéressant de noter que tous les acteurs lycéens n’avaient jamais eu d’expérience professionnelle de comédien lors du tournage et qu’ils jouent tous des personnages à leur nom. Le film fut multi-primé au Festival de Cannes, recevant le prix de l’Education Nationale, le prix de la mise en scène ainsi que la très prestigieuse Palme d’Or.


(Louis A.)

samedi 27 septembre 2014

La lecture à haute dose est-elle nocive ?

(RAT-TRAPAGE)

 Nous voilà de retour : septembre, les nouvelles classes, les emplois du temps… tout est désormais en place, le groupe des ActuaLiseurs se reforme, autour de certains anciens (désormais en Terminale L), puis de nouvelles recrues (entrées en Première).
Bienvenue à tous ces lecteurs vivants (1), heureux de partager leurs coups de cœur et leurs façons de lire. Nous parlerons prochainement des trois romans retenus pour cette année. Mais avant de lancer complètement cette aventure, en guise de ralliement, réfléchissons un peu à notre action revendiquée : la lecture intens(iv)e.


Sebastian Grant, le "fou des livres"
dans La nef des fous
Le rat, en France et en Allemagne, le ver en Angleterre, la souris en Espagne : pas de doute, le bestiaire du lecteur renfermé, qui ne quitte pas ses rayonnages et bâfre des pages entières à longueur de journée, n’est guère séduisant. Il rend même détestable cette image un peu étrange du « fou des livres », qu’évoquait déjà la Nef des fous de Sebastian Brant, au XVIème siècle. Et ce n’est pas le Tatouille bleu gris des usines Disney – qui, le temps d’une saison, a réussi à bousculer les préjugés –  qui pourra durablement inverser la tendance (ah bon ? le héros est un rat ? même pas un moche crapaud qui se transforme, à la toute fin, quand même, en prince ? un rat, vous dites ?).

Bref, lire trop, pour la plupart des gens, ce serait amorcer un repli dangereux et laid hors du monde, qui poussent les amis (parents) bienveillants à hurler « sors, mais sors donc : tu vas t’user les yeux, te défraichir le teint, te ramollir les muscles (c’est pas faux), perdre le contact, le sens de la vraie vie, du monde, quoi ! ». Et l’on voit se profiler, là, à l’instant, le lecteur prothésé de double foyer, aux cheveux hirsutes, à l’embonpoint poireux (façon Spitzweg), aux chaussures avachies comme des charentaises, à la veste de velours puant le renfermé et tachée de café froid, la chemise d’un blanc douteux... Le rat de bibliothèque n’est franchement pas glamour, rien à dire.
 
Le rat de bibliothèque, Spitzweg
Mais rassurons-nous : il aura plu bien des livres avant que la menace de nous changer en crapaud (pardon : en rat) ne s’abatte, par un maléfice inversé. D'une part parce qu'il faut lire beaucoup, vraiment beaucoup, pour être menacé (ouf, on a encore un peu de marge). D'autre part, celui dont on parle, de rat, il lit sans comprendre : il dévore aveuglément, préfère la voracité à la digestion mesurée que célèbre Montaigne. Du coup le souci de lire en s'investissant, de partager ses lectures, ses avis, de faire travailler le sens, ça protège drôlement. Lire peu, mais lire bien, en exerçant sa perspicacité, en donnant de la voix aussi (joie de lire à haute voix!), voilà la ligne des ActuaLiseurs. 
Et si, par imprudence, on a un peu abusé des bonnes choses et on se sent pousser quelques moustaches, quelques poils en trop derrière les oreilles : pas de panique. A y bien réfléchir, tout n’est peut-être pas si désastreux.

Car Alberto Manguel (2), grand spécialiste de la lecture, suggère une interprétation intéressante : d’abord il invite à distinguer, à l’instar de Sénèque, le « lecteur sérieux, érudit » et le « simple dévoreur de livres », qui ne comprend rien de ce qu’il ingurgite. Et Manguel rappelle qu’il fut un temps où l’on superposait sciemment, dans l’imaginaire populaire, ces deux représentations opposées du lecteur. « A la fin du Moyen Age et à la Renaissance, écrit-il, l’identité du fou des livres fut créée dans le but de railler et d’affaiblir certains aspects du pouvoir du lecteur. »
Un peu plus loin, toujours dans son essai Le voyageur et la tour (2), il explique :
" Finalement, le fou des livres fut chargé de toutes les connotations négatives que la société attribuait au lecteur : une créature perdue dans le désert des mots, sans attache avec la réalité quotidienne, vivant dans un monde d’affabulation qui n’est d’aucune utilité pratique pour ses concitoyens. « Pourquoi lire La Princesse de Clèves ? » demandait en 2009 le président Nicolas Sarkozy, découvrant que les fonctionnaires étaient censés étudier pour leur examen d’entrée ce roman du XVIIème siècle. Ce qu’il voulait dire c’est : comment la lecture d’ouvrages de fiction peut-elle venir en aide à un administrateur de la République qui a pour mission de s’occuper de faits et de chiffres, et des réalités sérieuses de la politique ? " 
Quelques lignes plus bas, on peut lire sa conclusion sur le ressentiment que certaines personnes semblent nourrir contre les lecteurs : « Un tel ressentiment est celui de nombreux détenteurs du pouvoir, de ceux qui opposent les forces économiques et politiques au dynamisme intellectuel et s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas éliminer la capacité humaine d’imaginer le monde grâce au langage. C’est pour cette même raison que Platon avait exclu les poètes de sa République : parce que les poètes inventent des choses afin de comprendre le monde. Ils traitent des images de la réalité, et non de l’incompréhensible réalité elle-même. »

Alors pour commencer la cure de lecture qui ne rend pas plus fou mais plus sage, tout en passant par la fiction, je vous renvoie à la très belle nouvelle de Philippe Claudel Arcalie tirée des Petites mécaniques (3).

Et parce que je ne suis pas rat (pas trop), je partage aussi, en clin d’œil, le très graphique et très sonore Work in progress avec Gerard de José Froment. Il s'agit d'une vidéo de quelques minutes, qu’héberge le très sélect site de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) : Work in progress avec Gerard

lundi 21 juillet 2014

"Lascia ogni speranza voi ch'entrate

..." *

Quand la poésie met le fantastique à la question ...


L'horreur me fascine.


Au début de l'année scolaire, je cherchais un livre capable d'assouvir ma soif d'horreur. Je ne voulais pas de l'horreur gratuite, de celle qui
fait étalage de tripes et autres confiseries morbides, de celle qui cherche à produire des sensations fortes, aussi vaines que rapides. Je ne voulais pas consommer du sang, je ne cherchais pas la vulgarité livide de l'horreur facile.



Je voulais trouver un livre à l'horreur littéraire, qui puisse me tenir par mon incompréhension. Car l'incompréhension est la source suprême de toute forme d'horreur.
 J'ai finalement trouvé un livre mystérieux, qui m'interpellait assez étrangement, comme une sorte d'appel primitif, un instinct. Il s'agit de La Dame n°13 de José Carlos Somoza.



Le départ est simple : un homme au chômage, anciennement professeur de littérature et poète, fait le même rêve depuis quelque temps, un cauchemar à dire vrai. Il assiste, passif, à une série de meurtres abominables, dans une maison bourgeoise. Ce rêve l'obsède et le dérange, jusqu'au jour où il découvre qu'il a effectivement eu lieu. Il décide de se rendre à l'emplacement du crime et fait la rencontre d'une clandestine Hongroise devenue prostituée. Ils s'échangent leurs rêves, réalisent qu’ils sont identiques et décident d'explorer cet endroit presque familier. Là débute l'histoire terrible de deux personnages en quête de réponses. Ils finiront par découvrir une secte datant de l'aube de l'humanité, la secte des "dames" : des muses.



Ce roman est envoûtant. On part du fantastique pour arriver au thriller psychologique. Mais tout du long, l'auteur garde un souffle étonnamment littéraire, porté par l'idée démentielle que la poésie est la plus raffinée des armes de torture. On n’en attendait pas moins de la part d'un auteur psychiatre ! L'originalité déconcerte le lecteur, il se sent manipulé et par moment étouffe face à la description troublante, subjuguante même de sévices monstrueux. Car le roman est parfois très cru, à la limite du soutenable. Mais jamais il ne tombe dans la gratuité ou le gore superflu : "tout est calculé".




Ce qui fait la beauté du livre, en plus de sa résolue maîtrise narrative et psychologique (peut-être un peu altérée par ce foisonnement de réponses aux énigmes), c'est l'hommage tangible à la poésie et, plus encore, à la poésie lue. Un hymne à la "formule qui perle". S'ajoute à cela une réflexion sous-jacente sur la notion de hiérarchie, qui berce tout le livre et qui interroge d'autant plus. On reprochera cependant l'accéléré final du temps narratif, qui enlève la beauté de la tension. Mais l'œuvre de Somoza reste admirable et terriblement marquante.

(*) La citation ("Vous qui entrez, abandonnez tout espoir...") est empruntée  à Dante par Somoza, et résonne, tout au long du livre, comme un pacte avec le lecteur.

(Louis A.)

jeudi 5 juin 2014

La lecture, un palimpseste

Une journée en terre d'écriture (2)

Même si c'est un peu tard après l'aventure, je prends ta suite, Elsa, et je reviens sur ces séances de lecture qui ont ponctué l'atelier des ActuaLiseurs, début mai. Je reviens sur ces deux séances, à l'auditorium, parce qu'elles m'ont marquée. Elles m'ont plu. C'était une belle façon de finir l'année, vraiment.
Les ActuaLiseurs avaient un peu oublié les textes qu'ils avaient écrits en avril, sur les consignes étranges de Jonathan Wable, jeune écrivain qui nous avait fait la gentillesse de venir animer un atelier d'écriture. Il avait emporté chez lui leurs moissons de la journée, et avec un grand soin, avait tout tapé pendant les vacances,  sans changer un mot de ce qu'ils avaient proposé. Il avait été ému, m'avait-il confié en m'envoyant le dossier, de ce qu'il avait lu. La thématique de la mort, qui filait quasiment tous les textes, alors même qu'ils partaient d'une photo totalement différente, était saisissante. Il paraît qu'On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ansJe veux bien croire Rimbaud, il savait de quoi il parlait. Mais moi je sais ce que j'ai entendu. Alors non, pas sûr, au fond, que Le cœur fou robinsonne à travers les romans. Pas toujours, en tout cas.

En ce mois de mai, donc, au petit matin, la classe encore un peu endormie (il était vraiment tôt, pour proposer cette activité !), assise à même la scène, était prête à écouter. Le silence était douillet comme une couette encore chaude. 

Les lectures nous réveillèrent doucement, une à une, avec la justesse d'une musique claire et dense à la fois. Nous avions décidé, avec Sylvie, que chaque ActuaLiseur aurait en responsabilité un texte, et non pas son texte. Du coup : son auteur aussi, (re)découvrait. 
Car il arrive bien souvent que la lecture qu'on propose, quand elle est inspirée, se détache de celle, intérieure, de l'écrivain. De celle qu'il se murmure, en oreille interne, bien loin des yeux, de la mémoire, des souvenirs lus ou vécus par ces autres auxquels bientôt il offrira son texte, et qui se l'approprieront. 
Les mots étaient palpables, et au-delà des maladresses auxquelles on ne s'arrêtait pas  (cela fait partie du jeu, quand on s'expose sincèrement), les textes se faisaient vraiment entendre. Ils faisaient naître des mondes, dans nos têtes disponibles, ça nous embrassait de partout et nous portait un doux sourire aux lèvres. Certains se sont peut-être endormis, mais ils ne devaient pas être nombreux. Parce que les lectures étaient incarnées, colorées, et en même temps insaisissables. Elles étaient là.

Avec Sylvie, nous étions déçues, au départ, de la maigre qualité des photos qui avaient été prises, ce jour-là. Petit matin, petite lumière, tout était flou. Jusqu'au moment où on a compris que tout était juste, au contraire : ce mouvement des lecteurs, cette audace avec laquelle ils se sont déplacés parmi nous, ont joué de leur corps et de leur intonation, accompagnés ou non de musique, c'était cet insaisissable, ce flou, ce décalage multiple que chacun d'entre nous réverbérions de la lecture entendue. Dite à voix haute, la phrase est insaisissable, toujours en mouvement, elle vient résonner contre une paroi interne qu'on ne saurait exposer à personne et y trace des méandres qu'on ne peut fixer. Elle coagule, quand les mots sont forts, à de la matière intérieure qu'on ne saurait même nommer, et qui fait que chaque texte est unique, parce qu'il est absorbé, en couches successives, par un écran qui nous est personnel. Ce sont nos pages à nous, qui réfléchissent, recomposent, le souvenir qu'on a de la lecture. Comme un palimpseste sans cesse renouveler.

Bravo aux ActuaLiseurs : pour ce qu'ils ont écrit, pour leur façon de lire. 
Bravo aux élèves de la classe, qui ont accueilli ces textes avec une grande bienveillance et une écoute qui fut porteuse.
Bravo à Sylvie DS, pour ses photos si justes.

(Béatrice H.)





mardi 3 juin 2014

Une journée en terre d'écriture (1)

Un jeudi d'avril, un écrivain, un auteur, un artiste est venu nous voir. 




Pour nous tous, je crois bien, l'expérience était nouvelle. Chacun est arrivé, une pointe d'anxiété au cœur, un tas de questions en tête.
Je crois que personne ne s'attendait vraiment à une telle rencontre. Que personne ne l'avait véritablement appréhendée de cette manière.

Nos avis sur le livre divergeaient. 


Rencontrer son auteur a, pour certains, justifié l'authenticité de l'œuvre, pour d'autres l'a rendue source d'interrogation ou même d'admiration. Je pense que tous nous nous sommes dit : Cet homme en face de moi a écrit un livre. Pour ma part en tous cas, je n'ai cessé de me le répéter en l'espace de cette journée unique. Envisager que cet homme si jeune, si amical, si humble et accessible, ait écrit un livre a bouleversé l'idée que je me faisais du métier d'auteur. Cette personne a écrit un livre, est la source d'un objet. Un livre. Un livre comme tous ceux qui se trouvent dans ma bibliothèque. Un livre comme tous les gens du monde ont dans leur bibliothèque. Un livre, pourtant unique, multiplié en autant de livres que de personnes l'ayant posé un jour dans leur bibliothèque. Un livre.

Jonathan Wable fut très abordable dés les premières minutes. Autour d'un petit déjeuner croissanté, accompagné de café et de thé. Un convivial petit déjeuner entre connus et inconnu. Ce fut agréable de commencer ainsi la mise en bouche de la journée. 
En un premier temps, nous avons lu à M.Wable nos critiques de son livre, échangé nos points de vue à ce sujet. Nous lui avons ensuite lu des extraits de son œuvre que nous avions nous-même choisis, par affinités si j'ose dire. Les lectures étaient tantôt à plusieurs voix, tantôt accompagnées de musiques. Tout de nous, et par nous.





M. Wable nous a ensuite demandé d'écrire. 

Un rêve, d'abord. 
Puis à partir de photos choisies par l'écrivain. Peu après, de constituer des binômes et de nous prendre deux fois en photo chacun.
Nous ignorions à chaque écrit ce à quoi ils serviraient. Ça avait un côté ludique, de jouer avec la surprise. On écrivait à l'aveugle. 


Nous avons fini par composer des suites de rêves à trois voix et des "strips" à deux.

Beaucoup d'émotions lorsque nous avons découvert nos œuvres. Des strips magnifiques, étonnants, déconcertains, crus, vrais. Des textes littéraires à l'état brut. Un ensemble de productions belles et uniques, faisant pourtant partie d'un tout.

Cette journée passée avec un écrivain nous a beaucoup marqués. Différemment selon chacun. Mais tout le monde, je crois, garde de cette journée un excellent souvenir. Rencontrer un "professionel", un "homme de lettres et de papier" était comme un rêve où l'on s'imagine une autre vie. M. Wable a su nous conduire de l'autre côté de la rive, il a mené la barque tout en nous laissant des rames. Pour cela, je l'en remercie sincèrement. En une journée, il a vu en chacun du potentiel, de la matière à travailler. M. Wable a cru en nous du début à la fin, et nous a ainsi permis de croire en nous. Je ne parle pas seulement du fait que chacun a cru en lui, mais aussi du fait que chacun ait cru en tous, en notre groupe.
Un grand merci donc à M. Wable, ainsi qu'aux professeurs instigatrices du projet.

(Elsa C.)

mercredi 2 avril 2014

"Poésie, pas morte".



Ce billet d'humeur, pour m'élever contre tous ceux qui réduisent la poésie à une frêle parole d'amour rougissante, qu'un pauvre éconduit balbutierait tout seul dans son coin.

Les poètes, dans un coin, d'accord. Mais alors un Coin de table, à la Rimbaud, qui se tiennent mal et font bouger le monde, par leur regard aigu et leurs mots qui dessillent, jetés pleine face. Ils observent et invitent à se poser, à réfléchir, à réagir. Dans ce monde de 4G toujours plusplus, ça fait du bien de ralentir, d'écouter le silence au creux de soi. D'accueillir ce qui va vibrer alors, parfois de façon si brute, essentielle, que (ne riez pas), ça peut faire pleurer.

Et si la "grande dame langoureuse" dont parlait déjà Cocteau a la vie longue  - combien nombreux sont encore ceux qui s'obstinent à la voir toujours alanguie sur ses coussin moelleux, shootée aux vapeurs amoureuses, qui les confinent, eux, dans leur quant à soi -, c'est à tous ceux qui croient en ce pouvoir du verbe de la sortir de là. Rester claustrée, les yeux fermés, c'est pas une vie.

Depuis plus d'un siècle, la poésie est sortie dans la rue, et même, d'une certaine manière, des livres : on la voit sur les murs, dans des spectacles de danse, dans des soirées de lectures. Elle a le verbe haut, même si elle ne se donne pas facilement à entendre. Faut savoir l'écouter.

Alors je rêve : un jour, le lecteur n'aura vraiment plus honte de ses choix, il demandera à un libraire (oui, y en aura encore), un samedi après-midi qu'il n'a plus rien à lire  : "qu'est-ce que vous avez comme recueil de poèmes à me conseiller, en ce moment?"
Bon, d'accord, ce n'est peut-être pas pour tout de suite.

Mais mes élèves m'ont rassurée, aujourd'hui : j'aurais tort de croire que, c'est rédhibitoire, la poésie ne se lit plus. On pourrait même apercevoir de ses livres, tout cornés, dépassant de la poche d'un jeune avachi sur un strapontin de métro déglingué, ou sur des plages, même - ô joie, suspends ton vol ! - entre les mains d'une jeune fille, qui découvre avec jubilation les Fleurs du mal, et passe outre le nombre de pages minimum qu'un professeur conscient de l'effort qu'il allait demander, avait fixé (j'assume : c'était moi. "Allez, quoi, des poèmes, ça se lit vite", j'avais cru bon d'ajouter, comme une excuse à cette folle requête. Parfois j'ai honte d'avoir honte.)

Comme si la pilule devait être amère, et s'avaler sans respirer.
Comme s'il fallait avoir peur de leur faire lire ce qui leur restera, en bribes heureuses, toute la vie. Les mots sont parfois indélébiles, si.

Pour afficher ses goûts poétiques, et s'engager  : 
voici trois endroits où l'on peut rencontrer des paroles de poètes : 
- la Maison de la Poésie, située Passage Molière, dans la rue Quincampoix (près de Beaubourg) : un lieu où, pour pas cher (même parfois : gratuitement!) on peut entendre et voir des écrivains et des poètes lire, discuter, s'accompagner de musiciens : MAISON DE LA POESIE
- le site de Poezibao : un peu plus pour connaisseurs (ou ceux qui ont envie de le devenir), mais c'est un site qui tient au courant de l'actualité poétique :  POEZIBAO, REVUE DE POÉSIE
- le site de Jean-Michel Maulpoix : qui permet de réécouter des conférences de cet universitaire et poète, de se replonger dans les problématiques liées à la poésie et de découvrir des poètes d'aujourd'hui, dont il parle généreusement : MAULPOIX & CIE

Pour le dire en images : 
voici deux petites vidéos que je vous invite à regarder/ écouter : une trace heureuse, sur le net, de ce Printemps des Poètes (on en est au 16ème !) qui cette année a vu, entre autres, une manifestation poétique se faire sur la place du Trocadéro.
- La première est sur le site du Printemps des Poètes : vous pourrez ainsi en profiter pour flâner, et glaner des informations concernant la poésie active, à vive voix : LIBERTÉ, PRINTEMPS DES POÈTES 2014 (1)
- la deuxième est un montage par l'équipe de José Montalvo, le chorégraphe qui a orchestré cette expérience, devant son théâtre (Chaillot) : LIBERTÉ, PRINTEMPS DES POÈTES 2014 (2)

Il y a tant de poésie "donn(ée) à voir", pour reprendre un titre d'Eluard, justement, dans ces pas déséquilibrés, dans ses regards intérieurs qui s'exposent aux yeux de tous, avec confiance, que c'est une belle façon de le redire : non, la poésie n'est pas morte, elle traverse le corps et imprègne nos vies.

(Béatrice H.)

vendredi 7 février 2014

Eloge d'un gros tas

Hors Normes. 


C'est le thème des Portes Ouvertes de notre lycée, cette année. Fallait trouver quelque chose, pour être dans le ton. A la taille. Pour assurer. Quelque chose de grandiose, d'époumonnant, qui surprenne son monde, les yeux écarquillés sur l'écran et y revenant sans cesse, en redemandant, ouich.  
Et en même temps, s'enregistrer en train de hurler un texte en haut d'Etretat, on pouvait pas (fallait y aller), écrire tout un article rayé, c'était convenu (autant se          ),  lire en verlan, jadé vu, bof bof, et prè-a Luchini qui l'a trop bien fait, veka une bleufa de NeutaifonLa, on vaina l'air de nains. 
On se creusait les méninges et rien n'venait, c'était le moment où on allait déclarer forfait, pas jouer, botter en touche, bref, définitivement, pour ce coup, passer notre tour : joker.

Et puis c'est arrivé. L'acte.

Un truc pas banal, alors là non, qui nous désinstalle profond. Et les ActuaLiseurs ont relevé le défi d'écrire là-dessus. Ils n'avaient pas vu ce que j'avais vu. Je voulais, c'était décidé, que le hors normes, ce soit pour eux : qu'ils voient, après coup seulement, ce qui avait motivé l'expérience. Qu'ils trouvent le lien tout seuls. Comprennent ce qui m'avait fait rire, puis donné à réfléchir, et que j'avais trouvé nécessaire de montrer ici, pour ouvrir les yeux à tous ceux qui vivent en aveugle dans notre monde, et qui s'obstinent à piétiner l'acte poétique. Le vrai. Celui qui sait regarder les choses sous l'angle qui interpelle, et au plus loin encore. Celui qui passe par la voix, le mot, le geste, l'image, n'importe quoi dans lequel s'engouffre le souffle. Barbare ou tendre, ça vous fait frissonner à vif, un acte poétique.

Notre acte.
On allait donc mener une expérience ensemble et en différé, chacun devant son écran, sa page, son crayon, et en même temps tous reliés par la même consigne, que j'avais glissée dans une enveloppe à l'intention de chacun. A ouvrir ce soir, et taper. quelques lignes, ou des vers, sans trop réfléchir. Votre souffle. Et vous m'envoyez, je leur avais dit. 
Les réponses sont arrivées, petit à petit, pas toutes en même temps (je m'en doutais), comme un éboulis qui prend un temps fou, mais qui vient, c'est sûr. On est du même tas, j'vous dis.

Le vôtre ?
Alors à vous de le rejoindre. ça engage votre plus belle part : le souffle.
Ecrivez, pour vous, en quelques secondes, quelques phrases avec ces mots : 
caillou. pierre. tas.
Et lisez ensuite, ci-dessous les réponses, brutes ou ciselées, ça dépend du moment, des ActuaLiseurs.
Enfin seulement, (seulement enfin), regardez la vidéo que vous trouverez sur le lien, en fin de page. 

Et alors faites le point. Comme ont dû le faire, chacun derrière leur écran, les ActuaLiseurs, une fois la fin de l'écriture proclamée, l'article posté. 

Si on pouvait être sûr, chaque matin, d'avoir le regard neuf, prêt à décaper le moindre tas posé en travers de la route, on avancerait sans peine. Merde alors.
(Béatrice H)





L'ELOGE D'UN GROS TAS
(ça roule pas mal, chez les ActuaLiseurs)



Un homme regarde au loin. Il distingue une pierre. Ou un caillou. Un gros caillou. Il ne sait pas. Ou est-ce un amas, un tas de petit cailloux si proches les uns des autres qu'ils finissent par ne former qu'une masse de roche brute et insipide. 
Alors l'homme se demande pourquoi il regarde cette chose qu'il n'arrive pas à définir.
(Louis A.)



Pierre,
Cailloux
En tas
De pierres
Et de cailloux,
Tout un tas de cailloux
Qui font comme une seule pierre,
Le tas, c’est vrai, qu’on n’oublie pas,
Qu'il est toujours plus mince en haut qu'en bas !


(Emilie Ch.)





C'est la pierre qui a fait tomber le tas de cailloux.
(Suzanne E.)



En tas,
Cailloux
Et pierre de coups,
On commence par où,
On commence par où déjà ?
Tas de pierres ! j’ai le cœur cailloux,
Mais j’ai le cœur  parterre,
Mais je  suis en dessous,
Une pierre, deux coups,
Deux cailloux
En tas.

(Emilie Ch.)



Le caillou voulait braver la mer
Pourtant l'était qu'un bout de calcaire
La pierre plus forte puissante
trônait à ses côtés, imposante
Mais les deux réunis
forment une même harmonie
Forment un tas droit et fier
Bien ancré dans la terre

                                                                      (Coline F.)



Une pierre. Un caillou. Au fond, nous ne formons qu'un ensemble. Un énorme tas.
(Killian S.)


Le caillou me séduit par sa douceur. Rond, plein, léger, il tient menu dans le creux de ma main. Murmure. La pierre est plus brutale, n'a pas cette humilité, elle m'impose silence.
Je suis, résolument, minérale.
                                                                                                                             (Béatrice H.)

Ramassez des cailloux et formez un tas.
Que chacun y mette sa pierre
pour former une nouvelle fois la Terre.
                                                             
                                                                                       (Camille H.)

Caillou, pierre, tas.
Et la mer qui recule.
Un caillou qui se laisse porter par la mer salée.
Une pierre qui ne ploie pas à la marée.
Un tas qui reste là, ne bouge pas.
Puis la mer avance.
Le caillou ne reviendra pas. Il est trop loin, maintenant. Emporté par le courant. La pierre sous l'eau ne bougera pas. Ne partira que lorsque quelqu'un la déplacera. Le tas se met à flotter à moitié. Il ne faut pas chercher à comprendre, un tas est un tas, et peu importe ce qu'il porte. Mais le tas ne flotte qu'à moitié.
Il ne coule pas. Il ne flotte pas non plus.
Restera-t-il là, ou suivra-t-il la mer ? Le caillou ou la pierre ?
                                                                         
                (Elsa C.)

Un homme seul est semblable
au caillou dans lequel notre chaussure se cogne
Rebondissant contre des millions d'autres cailloux incassables
Mais selon ce que la vie lui donne
Selon ce dont il est capable
Il rejoindra le tas de cailloux monotone
Ou deviendra une pierre inestimable
                                                                   (Jéromine T.)



                                 Un tas de pierres
                                 Au bord de cette rivière
                                 Un petit caillou
                                                                      (Jade J.)



Cailloux. Pierres. Tas.
Le monde s'envolera.

C'était un épouvantable caillou
Battu de mille coups
Mais aussi une terrible pierre
Par-delà les rivières
Un tas se trouvait là
Personne ne nous trouvera

Cailloux. Pierres. Tas.
Le monde s'envolera.
                                      (Anaïs E.)


Sous le tas de sable, la pierre anguleuse feint d'être douce comme le caillou rond au fond de l'eau.

                                                                            (Sylvie D.S.)


Et maintenant, ici, la vidéo déclencheuse. Le petit grain de Pierre Meunier, qui a fait couler... le tas.
Je rends hommage, à cette occasion, aux Rencontres des Enjeux Contemporains de la Littérature, organisées chaque année par la Maison des Ecrivains et de la Littérature (m-e-l)
C'est lors d'une conférence sur la sidération, que Marie-José Mondzain nous a fait découvrir, cette année, ces 4 minutes hors-normes...






dimanche 5 janvier 2014

Prenons de l’altitude : "The Cloud Atlas"

Quand un film magnifie un livre, il faut en parler : voici un article sur un film que vous n’avez peut-être pas vu quand il est sorti, et qui vous donnera l’occasion de bien commencer l’année…

Résumé
Sorti en 2012, ce film, adapté du livre de David Mitchell et réalisé par Tom Twyker et Andy et Lana Watchowski, raconte l'histoire de 6 personnages principaux tous vivants à des lieux et à des époques différentes. Chaque histoire possède un élément renvoyant à la précédente, ce qui crée un cercle.
C’est un film sensationnel tant par son casting que par son scénario complexe et que sa réalisation. The Cloud Atlas (ou "la cartographie des nuages") vous propose énigmes, tabous, cultures, surprises, splendeur et passions. Tout cela ajouté à un dénouement inattendu, ce film vous transportera et vous fera vivre mille émotions. Il donnera même aux plus attentifs l'occasion de noter quelques citations. 

La particularité de ce film est qu'il met en scène des acteurs récurrents qui jouent chacun un personnage différent à chaque époque, ce qui déroute le spectateur autant que cela peut l'amuser. Cela lui laisse la possibilité de recréer une certaine continuité entre ces personnages à travers les siècles. 

Le casting de The Cloud Atlas regroupe une sélection d'acteurs de grand talent que sont : Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Doona Bae, James D'Arcy, Zhou Xun, Keith David, Susan Sarandon, Hugh Grant, et Ben Wishaw.

 Les récompenses : 
The Cloud Atlas impressionne les spectateurs, tant critiques que publics. Il remporte de nombreux Awards en 2012 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore, en Allemagne :
- un Award pour la meilleure direction artistique,
- un autre pour la meilleure photographie,  
- deux  Awards pour les meilleurs décors,
- trois Awards pour le meilleur montage et le meilleur maquillage
- et enfin, deux awards pour la meilleure musique de film pour Reinhold Heil, Johnny Klimek et Tom Tywker.
Il est aussi sélectionné pour sept autres récompenses.

Le public visé :
The Cloud Atlas s'adresse à un spectateur-enquêteur qui aimera devoir réfléchir et reconstruire le récit dans sa chronologie. Il s'adresse également à un spectateur ouvert d'esprit et friand de poésie ou encore à quiconque est amateur de sensations fortes, de danger et d'inattendu.
Vous l'aurez compris, The Cloud Atlas est finalement un film… tout public !

Le petit bonus de ce film :

sa bande-son, composée par Reinhold Heil, Johnny Klimek et Tom Tywker comprenant une mélodie clé que vous ne serez pas près d'oublier ! Alternant douceur et action, les compositeurs ont su trouver les notes qu'il fallait pour accompagner parfaitement le récit. 


(Camille H.)