Perturbation, au théâtre L'apostrophe de Pontoise
22 novembre 2013
Texte de Thomas Bernhard, adaptation de Krystian Lupa.
22 novembre 2013
Texte de Thomas Bernhard, adaptation de Krystian Lupa.
Adaptée d’un roman du célèbre Thomas
Bernhard par Krystian Lupa, Perturbation est
une pièce au jeu sublime et au texte littéralement génial.
On hésite dans cette pièce. On hésite entre
sciences et littérature, entre folie et lucidité. Le sujet, si l’on veut en
trouver un, est sans doute la condition humaine. Mais c’est surtout des éclats
humains que l’on retient : de la musique avant toute chose, et puis une
analyse du cerveau humain, des idées en suspension, des sentiments tabous tels
que la cruauté, la jalousie, l’amour trop fort.
C’est l’histoire d’un médecin qui
laisse son fils, étudiant, adolescent en construction, assister pour la
première fois à ses visites quotidiennes. Immersion totale dans la vie de
patients peu communs, la maladie, le désespoir, la mort sont au rendez-vous. Un certain apaisement
se dégage parfois de personnages qui se pensent en voie de guérison, quelle qu’elle soit. D’autres suggèrent la
terreur de se rendre compte à quel point
l’on va mal. Les regards portés sur ces hommes et ces femmes que seuls quelques lambeaux de passion
raccrochent à la vie sont parfois tendres, parfois cruels.
« Mais il arrive que les gens trouvent, alors
que moi j’éclate de rire, qu’il n’y a absolument pas de quoi rire ! ».
Cette phrase décrit l’humour, tantôt pesant, tantôt léger de Perturbation ; et pour cause, ce
n’est nul autre que son auteur qui l’a dite ! Cet humour à double tranchant, c’est
sans doute le personnage du Prince qui le reflète le mieux : son
apparition débute par une phrase ; une phrase de dix minutes, sans
interruption. Par le biais de mots savants, inventés ou bien familiers, il nous
décrit, comme tous les autres, une folie, à la différence près que cette folie,
il ne la ressent pas, il ne la perçoit pas, et pourtant il la fabrique. Mais si son personnage est particulièrement
important, c’est aussi parce qu’il nous transmet un aspect de la pièce qui
n’apparaît qu’à la fin. Subtilement, il entre en contact avec le spectateur,
lui adresse un mot, puis deux, puis une réflexion entière, en l’occurrence une
réflexion sur le théâtre.
L’auteur nous apparaît alors, au travers de quelques rires dans le public, au
moment où, justement, il ne faudrait pas
rire.
![]() |
"Les maladies sont le plus court chemin de l'homme pour arriver à soi" |
Dans la construction de la pièce, quelques voix off, quelques perspectives scéniques marquent le début, puis s’essoufflent. Finalement, nous restons sur le propos et le jeu époustouflant des comédiens, sur cette folie à laquelle on s’attache, dans laquelle on s’oublie, le temps d’une pièce. On retient quelques noms, et le visage du fils, et l’expression du père, le père qui constitue tout au long de la pièce le témoin, le confident, le récepteur de sentiments déchiquetés, de philosophies troublantes ou d’incompréhensions fascinantes.
La question de l’Homme se trouve sans cesse retournée,
déchiffrée, presque torturée, mais finalement sans but précis, si ce n’est de
nous montrer une version dénudée de la réalité.
Prodigieusement perturbant.
(Emilie Ch.)
Bravo pour ce texte, qui traduit avec force et subtilité une réception intelligemment sensible!
RépondreSupprimerCritique d'une très grande justesse ( de mon point de vue, j'ai également été bouleversé par la pièce ), cependant, il me semble que tu oublies le travail de mise en scène ( très complet ) de Krystian Lupa. Très complet car il y a eu tout d'abord un travail d'adaptation ( Perturbation est un roman à l'origine ) duquel résulte un spectacle éblouissant de linéarité. La scénographie également signée Lupa est très intelligente, les lumières ( Lupa encore et toujours ) sont prodigieusement bien exploitées. Mais surtout, surtout ! La musique ( à laquelle je suis toujours sensible ) et la vidéo ! Parvenir à créer une linéarité théâtrale à partir d'un roman par le biais de la vidéo et de la musique, c'est franchement phénoménal.
RépondreSupprimerJ'ai bien failli versé une larme en repensant à la scène du " frère en cage ", lorsqu'il s'empare du violoncelle, nu, tout gauche qu'il est, une musique chorale en toile de fond. J''ai cherché la musique, souhaitant retrouvé l'extase procurée par ce pur moment de théâtre et il me semble qu'il s'agit de " Let my prayer be set forth..." de Pavel Chesnokov ou du moins quelque chose de ce genre...
En définitive, Perturbation se veut un gesamtkunstwerk ( oeuvre d'art totale ) formidable d'humanité. Il reste quelques représentations au théâtre Les Célestins à Lyon ( 3 - 7 décembre ) et au CDN d'Orléans ( 18 et 19 décembre ).
(Louis)